Une époque s'achève

L'angoisse avait envahi Baal tout entier. Quelques heures auparavant, son Maître lui avait appris, à la fin de son cours, que la Gardienne Elissa III la convoquait.

Quelques minutes passèrent qui lui semblèrent des heures. Pourquoi la Gardienne voulait-elle le voir ? En ces temps de guerre, il paraissait peu probable qu'elle se soit décidé à rendre sa décision au sujet de sa succession. D'autant que personne d'autre qu'elle ne semblait capable de gérer une telle crise.

Un homme vint le chercher, interrompant ses interrogations. Il lui ouvrit la porte du bureau.

- Je vous salue, divine Elissa III

- Je vous salue aussi, divin Baal Ekta. Vous devriez vous asseoir.
Avant toute chose, j'ai une nouvelle à vous apprendre, et vous serez parmi les premiers à être averti: la guerre est quasiment terminée, et elle ne posera plus aucun problème. Je ferai un discours dans quelques minutes qui l'annoncera, et je rendrai alors les pleins pouvoirs.
Dans ce discours, j'annoncerai une autre nouvelle : l'avénement d'un nouveau Gardien pour le Peuple Silf. A partir de cet instant commence le Double Règne, qui s'achèvera dans deux cycles. Alors, vous serez à même de gouverner seul. Maintenant et pour l'Histoire, vous devenez Baal XII, Gardien des Silfs.
En premier lieu, il est nécessaire que je vous résume la situation actuelle de notre peuple. Et pour cela, je veux commencer par vous montrer de quelle façon j'ai exercé mes pouvoirs.
Lorsque Maharbal VII m'a annoncé, comme je viens de le faire pour vous, que je devais lui succéder, le peuple Silf ne possédait aucune planète en dehors de Karmak. Les problèmes d'alors ont peu d'intérêt pour vous : les conseils planétaires et stellaires géreront très bien ce genre de soucis.
Toujours est-il que Karmak devenait de plus en plus peuplée. D'autre part, je savais que d'autres civilisations évoluaient sur d'autres planètes, au loin. La Prax avait marqué nos esprits pour longtemps. Jusqu'ici, nous avions réussi à échaper au contrôle des empires de l'après-Prax en nous cachant sur notre planète mère, et en intervenant le moins possible à l'extérieur. Mais le passé avait montré que cette solution était vaine. Le seul moyen de se protéger était de devenir suffisament puissants pour résister à une attaque extrakarmakienne.
Je résolus alors les deux problèmes en usant du seul moyen qui était à ma disposition : me tourner vers l'espace.

Pour commencer, j'ordonnai la construction de vaisseaux de colonisation, et la remise en fonctionnement des émetteurs-récepteurs des Shaa's. Dès que j'appris l'existence d'un Sénat Galactique, je m'y rendis afin de faire valoir les droits du peuple Silf.
Grâce aux récepteurs hyper-relais je pris connaissance de la position des autres peuples, et de l'existence de nos voisins. Je remarquais qu'aucun peuple de la Galaxie ne semblait suffisament en avance sur les autres pour représenter une menace, ce qui favorisait mes projets.
Je contactai nos voisins, le Matriarcat de Kyalon II et la Kerast Magyar, afin de leur faire part de notre intention de nous développer en paix, et leur proposais des pactes d'exclusivité territoriales, sans grande importance, mais qui représentaient un premier pas vers une entente plus solide, nécessaire si nous voulions nous développer sans perdre notre temps dans de l'armement superflu.
Je me renseignai à leur sujet : ces deux peuples étaient de race humaine, ceux de Kyalon II haïssaient les non-humains, les Magyars vénéraient la guerre, comme vous le savez. Cela rendait plus important encore l'établissement de relations cordiales. Certains m'auront reproché de m'être allié à ceux de la Galaxie qui représantaient le plus le contraire de nos principes ; mais paradoxalement, c'était le seul moyen de vivre selon ces principes-là.
J'ai donc développé simultanément notre puissance, par une colonisation massive des secteurs voisins, et nos relations extérieures, en proposant à mes voisins de créer une alliance forte. La Kerast Magyar s'est montrée intéressée, et le Matriarcat n'a pas semblé prêter attention à la proposition.
Fort heureusement, le Matriarcat s'est fort peu développé, tandis que la puissance de la Kerast Magyar augmentait plus rapidement. Dans le cas inverse, ou si les deux s'étaient développés, il est probable que de fortes tensions se seraient produites assez tôt, nous empêchant de nous étendre autant que nous l'avons fait.

Pendant de nombreux cycles, notre expansion géographique a continué régulièrement, et notre civilisation s'est élevée plus haut qu'elle ne l'a été depuis. Le peuple Cymek, l'Akacorp et le Matriarcat nous firent part à cette époque de leur intension d'entrer dans le Bloc.
Pour ma part, j'étais favorable à l'entrée de tous : un allié de plus, c'est probablement une menace de moins, et une force supplémentaire en cas d'attaque. Cependant, je savais que la Kerast Magyar avait l'intention d'employer la force, et je préférais donc la ménager. Finalement, j'avertis l'Akacorp et le peuple Cymek que la Kerast Magyar avait des intentions guerrières. L'Akacorp abandonna son projet, le peuple Cymek persista et fut sur le point d'être accepté. Cependant, les Magyars avaient des réticences, et je faisais tout pour les presser tout en tentant de ne pas faire perdre patience aux Cymeks, qui semblaient bien plus digne de confiance que nos alliés d'alors. Quant au Matriarcat, il avait des difficultés à communiquer, mais son sort n'importait plus que très peu, étant donnée sa faiblesse.

A ce moment-là, un événement eu lieu qui montra combien j'avais eu raison de lier contact avec la Kerast Magyar : elle avait attaqué par surprise l'Hégémon d'Azurus, un petit empire en extension. N'aurions nous pas été une cible bine plus attrayante, si nous n'étions leurs alliés ? La divine amiral Keldria, la dirigeante de l'Hégémon à qui j'avais promis entre temps, suite à ses inquiétudes, que nous resterions en paix avec elle, m'informa de la chose et m'accusa de trahison.
Et pourtant, le seul peuple vraiment trahi, c'était le nôtre : la Kerast Magyar s'était permis d'attaquer sans nous prévenir, engageant notre crédit, même s'il n'y avait pas eu cette promesse naïve ! Entre les traîtres et la victime, je choisis rapidement mon camp, espérant pouvoir éliminer à ce moment-là cette menace, dont je ne doutais pas qu'elle finirait par négliger la faible protection que nous avions contre elle, c'est-à-dire l'indignation des autres peuples de la Galaxie face à une trahison ouverte.

Je signalais à l'Hégémon d'Azurus mon intention de le soutenir, au peuple Cymek que l'attaque Magyar mettait fin au Bloc, à l'Akacorp, avec qui j'entretenais de bonne relations, que nous n'étions pas mêlés à cette guerre ; à la Kerast Magyar et au reste de la Galaxie, je prétendais seulement que je n'y prendrais pas part.
Nos ressources furent alors utilisés à construire casernes, saptioports et vaisseaux de combats, nos recherches à développer de nouvelles armes, afin de soutenir l'Hégémon d'Azurus, et de protéger notre peuple contre la folie martiale des Magyars.

Quelques cycles plus tard, nos vaisseaux furent placés dans le système mère des Magyars, qui s'en inquiétèrent. J'invoquai notre droit d'agir ainsi, étant donnés les accords signés. Ils durent s'en satisfaire, mais ne manquèrent pas d'affirmer au Sénat qu'ils considéraient que le Culte du Sauveur n'avait finalement pas forcément tort au sujet de la traîtrise des non-humains. Je n'avais, pour ma part, aucun scrupule à agir ainsi : pourquoi agir honnêtement avec ceux qui n'avaient pas hésité à nous trahir ?
Je m'inquiétais peu de la victoire, car nous étions trois peuples contre un seul, le Royaume Almicata s'étant rangé au côté du peuple des ses descendants, jusqu'à ce qu'intervienne un autre événement : le Duc dirigeant ledit Royaume, nouvellement nommé Cardinal du Culte, déclara au Sénat qu'il considèrait que nous devrions être mis en examen pour trahison.

Je me trouvais dans une impasse : trahie par les Magyars, trahie par ceux qui devaient m'aider à les combattre. En plus de cela, je craignais autre chose : tout cela n'était-il pas une manipulation du Culte ? Si j'attaquais la Kerast Magyar, ne risquais-je pas de provoquer une alliance de la Kerast Magyar et du Culte contre notre seul peuple ? Je choisis donc de ne pas attaquer, sâchant cependant que j'aurais maintenant à affronter la Kerast Magyar une autre fois, et qu'elle serait alors plus puissante. J'attendais quelques cycles et rompais toutefois l'alliance, afin de rassurer l'Amiral Keldria, qui pensait que je manipulais tout le monde, espérant ainsi éviter qu'elle rejoigne également le Culte du Sauveur.

La situation deumeurait tendue : nous avions abandonné la Kerast Magyar et l'Hégémon d'Azurus au moment où ils avaient besoin de nous. Bien sûr, cela ne se serait pas produit s'il ne nous avaient pas trahis, mais la divine Keldria était aveuglé par sa situation catastrophique, et la Kerast Magyar se moquait bien de ses propres torts.

Le divin Sir Ezekiel vînt alors m'interroger sur les raisons et les torts de Keldria, au nom de l'Alliance, estimant que j'étais digne de confiance, et me demandait si je souhaitais intégrer ladite Alliance.
Je lui répondis que la Kerast Magyar était en tort, et que soutenir l'Hégémon d'Azurus était non seulement une juste cause, mais encore un moyen de se protéger du Culte, qui devenait une menace trop importante pour nous, sâchant que l'opposition au Culte était un des principes fondateurs de l'Alliance. En effet, je pensais alors que même sans obtenir la loyauté de l'Hégémon, les serviteurs d'Uria le faisait obéïr à travers Almicata.
Quant à intégrer l'Alliance, je refusais, craignant d'être mêlée à une guerre qui ne manquerait pas d'arriver tôt ou tard entre l'Alliance et le Culte, qui a eu lieu en effet, car nous pensions alors que le Culte pourrait être raisonné ou contrôlé sans verser le sang.

Il advînt finalement que la guerre se déplaça dans l'espace du Royaume Almicata, en position de faiblesse, pendant que la CIOGAA fournissait des armes à la Kerast Magyar à bas prix. Cette situation me plaisait peu, car seule une guerre égale des deux côtés nous aurait permis d'échapper à la vengeance du vainqueur.

Ainsi, la Kerast Magyar finit par coloniser une planète de J3, où nous possédions alors des colonies, et où il était justement prévu que soient envoyé de nouveaux vaisseaux de colonisation. Je décidai alors que l'expansion de la Kerast Magyar devait s'arrêter là. Au-delà, je ne pourrais plus l'arrêter. Je me décidai donc à tenter un tour de force.
Le premier traité que nous avions signé précisait entre autres qu'aucun de nos deux peuples ne devait coloniser le système d'origine de l'autre, et que le système J1 était réservé à la Kerast Magyar, à l'exception de l'artefact Gerria. Je fis mine d'avoir mal compris le traité - ce qui ne trompa personne, du reste, mais me permis de ne pas perdre la face - et de penser que la colonisation en J3 le rompait.
En conséquence, j'ordonnais aux vaisseaux de colonisation que nous avions construit de se rendre en J1, pour montrer mon intention de coloniser là-bas, maintenant que rien ne me l'interdisait, et en faisai part sur un ton autoritaire. Je ne croyais pas mettre la vie des civils en danger, pensant naïvement que si les Magyars n'avaient aucun scrupule à les massacrer, ils en auraient à violer les lois du Sénat. Les Magyars me répondirent par la menace d'une attaque.
Je pensais lors que s'ils ne m'attaquaient pas maintenant, je prendrais un avantage important en colonisant les nombreuses planètes de leur système, d'où je pourrais plus tard lancer une attaque s'il le fallait, et qui me permettraient de prendre le contrôle de Gerria. Au contraire, s'ils nous attaquaient, j'espérais recevoir du soutien de ceux avec qui j'avais toujours entretenu de bonnes relations. Je leur répondis alors avec arrogance, et ils détruisirent les vaisseaux de colonisation, ce que je n'avais pas prévu.
Ce que je n'avais pas prévu non plus, c'est de ne recevoir de soutien de personne, Sénat ou allié, à l'exception du divin Duc Almicata, rejetté du Culte entre temps, et de la divine Amiral Keldria, sâchant bien sûr qu'il était nécessaire pour chacun d'entre nous de nous soutenir, et du divin Sir Ezekiel.
Toutefois, si j'avais analysé la situation autrement, j'aurais su que nous devrions nous battre quasiment seuls pendant un moment. Le Sénat avait toujours été incapable de faire respecter ses lois, et le fait qu'un représentant de la CIOGAA soit à sa tête n'arrangeait pas forcément les choses. Quant à mes alliés, la guerre entre le Culte et l'Alliance, qui avait éclatée, les avait presque tous paralysés d'une façon ou d'une autre. Certains d'entre eux étaient engagés directement dans la guerre ; c'était le cas du divin Sir Ezekiel, qui me vendit toutefois des armes à bas prix.
Le peuple Cymek, quant à lui, préférait ne pas engager son armée au moment même où il risquait d'en avoir besoin pour se protéger, ce qui est fort compréhensible. L'Akacorp, enfin, restait muette, et se préoccupait de problèmes autres, ne doutant pas de sa force et de sa capacité à se protéger de tous les conflits quand ils surviendraient, n'ignorant sans doute pas que ses terres arides et peu attrayantes constituaient sa meilleure défense.

La guerre dura longtemps, et rien d'extraordinaire ne se produisit, aucun camp ne parvenant à prendre l'avantage : la Kerast Magyar captura quelques planètes, nous prîmes Gerria, et cela, grâce au peuple de Riorrim qui monopolisait tous les efforts des Magyars. Cependant, pendant ce temps, la situation extérieure évoluait. L'Hégémon se préparait à prendre les armes, le peuple Cymek ne craignait plus d'être mêlé à la guerre qui opposait le Culte à l'Alliance.
Ce que j'avais prévu depuis des cycles se produisit : il y eut contre la Kerast Magyar un rassemblement de forces auquel elle ne pouvait pas résister. Et simultanément, la Kerast Magyar se replia sur son système mère. Je ne sais ce qui la poussa à agir ainsi. Sans doute les Magyars ont-ils senti que nous devenions trop puissants pour contenir la guerre sur nos propres secteurs, et ils ont préféré défendre efficacement les leurs au moment où ils possédaient encore une armée efficace.
A la vérité, nous avons eu de la chance que la situation se débloque à ce moment-là, car la flotte Thanatos nous avait infligé juste auparavent de lourds dommages, et elle aurait pu menacer la securité du système I3, si elle n'avait pas été afffectée, avec les autres, à la défense de J2. Ainsi, nous avons obtenu un délai suffisant pour rassembler une flotte plus puissante encore, et la détruire.

La Kerast Magyar n'a toujours compris que la force pure : quand elle nous a attaqué, elle a seulement vu qu'elle était capable de combatrre nos forces et celles du Royaume Almicata simultanément. Elle ne s'est pas rendu compte que les peuples voisins n'accepteraient pas qu'un peuple capable d'attaquer sans prévenir et sans raison menace la sécurité de toute la région. Je l'avais compris, et c'était là la clé de la victoire : aujourd'hui, que reste-t-il des forces Magyars, qui doivent faire face à la coalition de l'empire Cardassian, du peuple Cymek, du Royaume Almicata, de l'Hégémon d'Azurus, et de notre peuple ?

Telle sera désormais la mission qui vous incombera : vous devrez guider l'avenir de notre peuple à travers les épreues qu'il rencontrera, car il ne fait aucun doute que celle-ci ne sera pas la dernière. Nos voisins m'ont tous fait part à un moment ou à un autre de leur intention de nous rassembler, d'une façon ou d'une autre. C'est le chemin que vous devriez emprunter. Ne négligez pas non plus l'Alliance, qui nous a toujours soutenu quand nous en avions besoin, surtout Karmak Kahn et le Sir Ezekiel, s'il n'avait pas été chassé. Pour ce qui reste vraiment du Culte, c'est-à-dire l'empire Azael, sâchez qu'il veut notre mort ; les autres membres n'agiront pas, je pense, et le divin empereur Azael lui-même ne devrait pas pouvoir nous atteindre, si nous renforçons nos liens avec nos voisins.

Deux cycles plus tard :

- Divin Peuple Silf, le temps est venu pour moi de me retirer ; j'eus beaucoup de plaisir à vous servir, et j'espère que mes décisions vous plurent. Gloire au divin Gardien Baal XII, puisse-t-il guider notre peuple vers la paix et la prospérité.

L'ancienne Gardienne se retire du champ de la caméra, puis le nouveau Gardien prend la parole.

- Gardienne Elissa, vous avez guidé notre peuple plus haut que personne d'autre avant vous, et votre nom restera à jamais gravé dans nos mémoires, comme celle qui, après avoir étendu nos frontières si loin qu'aucune imagination n'envisage de telles distances, est parvenue à défendre notre peuple contre son plus grand ennemi, craint de la Galaxie entière.
En conséquence de quoi, j'ai résolu de renommer notre nation au nom variable, et c'est désormais le votre qu'elle portera : je proclame ce jour que l'ensemble des planètes placées sous mon autorité sera désormais appelé Fédération Ecocratique Elissane, et je donne à ses habitants le nom d'Elissades, ayant également une pensée pour tous les extra-silfs, en nombres croissant, qui portaient autrefois le nom de notre espèce. Pour ma part, je prends désormais le titre de Gardien de l'Elissa.